Bien positionnée et conçue, la vélorue offre aux cyclistes un espace de circulation mixte vélos-voitures, d’un très bon niveau de service pour les cyclistes, sans avoir recours à des aménagements cyclables séparatifs. Pour ce faire, la création d’une vélorue nécessite souvent de mettre en place des mesures contraignant le trafic motorisé.
Cet article définit la vélorue, explicite son domaine d’emploi, et précise comment concevoir celle-ci pour qu’elle intègre pleinement un réseau cyclable structurant : accessible à tout public, confortable et efficace pour les cyclistes.
La vélorue constitue une solution pragmatique d’aménagement qui concilie un très bon niveau de service pour les vélos et une nécessité de maintenir une desserte motorisé locale. L’article présente les recommandations essentielles à prendre en compte pour déployer la vélorue sur un réseau cyclable structurant.
La vélorue : définition du concept
La vélorue est une section ou un ensemble de sections de voie appartenant au réseau cyclable structurant et accueillant un trafic motorisé exclusivement de desserte.
Il n’existe aucun obstacle réglementaire à la création de la vélorue telle que décrite dans cet article, même s’il s’agit d’un concept d’aménagement encore peu déployé en France.
Si nécessaire, un travail sur le plan de circulation des véhicules motorisés garantit la suppression du trafic de transit dans la vélorue et un trafic motorisé de desserte significativement faible.
Sur la vélorue, les cyclistes de tous publics circulent en nombre : ils peuvent confortablement se doubler, se croiser, et circuler côte à côte, y compris dans les cas où ils rencontrent des véhicules motorisés (croisements, dépassements).
L’instauration d’une vélorue engendre généralement une moindre présence des véhicules à motorisation thermique dans le quartier, ce qui abaisse les niveaux sonores et constitue un gain pour les résidents et plus généralement pour les piétons.
La vélorue est aménagée sur un profil en travers de dimensions adaptée (cf paragraphe dédié), généralement incompatible avec l’implantation d’aménagements cyclables séparatifs. Elle se distingue généralement d’une zone de circulation apaisée par son identité visuelle. Elle est aménagée de façon cohérente avec une vitesse maximale autorisée inférieure ou égale à 30 km/h. Elle peut faire partie intégrante d’une zone 30.
La vélorue n’est pas cohérente avec les statuts de zone de rencontre, aire piétonne, voie verte, qui présentent des objectifs d’aménagement différents, spécifiquement favorables aux piétons.
Zoom sur : L’interdiction de dépasser les vélos par les véhicules motorisés : une fausse bonne idée ?
Imposer aux voitures de ne pas dépasser les vélos dans la vélorue peut sembler a priori favorable au vélo et fait régulièrement l’objet de communication dans les projets de vélorue en France. Néanmoins cette mesure ne présente a priori que peu d’avantages :
- Sur des vélorues à profil étroit, interdire le dépassement du vélo par le véhicule motorisé ne constitue qu’un rappel à la règle puisqu’il est généralement impossible de dépasser un cycliste en observant l’écartement minimal d’un mètre requis pour procéder à son dépassement (article R414-4 du Code de la route) ;
- Sur des vélorues à profil large où le dépassement du vélo par le véhicule motorisé est possible en observant l’écartement minimal d’un mètre, la mesure est peu crédible, voire contre-productive car les cyclistes préfèrent généralement être dépassés par les véhicules motorisés que subir leur pression derrière eux. Dans ces rues, une communication « Dans cette rue, je reste derrière le cycliste » peut engendrer une incompréhension, voire des conflits entre les usagers.
Aussi, les préconisations détaillées dans cet article (dimensions des profils en travers notamment) visent à garantir par la conception une utilisation de la vélorue conforme à l’usage souhaité, sans avoir à recourir à l’interdiction du dépassement des cyclistes par les conducteurs motorisés.
Comprendre le domaine d’emploi de la vélorue
Sélectionner des sections à fort potentiel vélo
La vélorue est implantée sur une section de voie à fort potentiel vélo. Elle vise à accueillir un minimum de 500 cyclistes par jour et idéalement un nombre plus important de vélos que de voitures. Elle fait partie intégrante d’un réseau cyclable structurant, dans lequel elle est principalement connectée à des aménagements cyclables séparatifs, éventuellement à d’autres vélorues.
Le trafic cycliste important supporté après aménagement par la vélorue est une nécessité pour assurer son bon fonctionnement :
- il favorise un rapport favorable des cyclistes vis-à-vis des véhicules motorisés ;
- il légitime la place centrale occupée par les vélos sur la chaussée, et renforce ainsi le sentiment de sécurité et de confort des usagers.
Limiter le trafic motorisé au trafic de desserte locale
Les niveaux de confort et de service accrus recherchés pour les cyclistes dans la vélorue impliquent un nombre relativement faible d’interactions entre cyclistes et usagers motorisés. Il est souhaitable d’abaisser le trafic motorisé à un maximum de 1000 uvpm par jour et par sens de circulation.
Ainsi, pour fonctionner de manière adéquate, la vélorue ne doit plus constituer un itinéraire de transit ou un raccourci malin pour les véhicules motorisés. Cela suppose généralement de reconfigurer le plan de circulation, par exemple avec mise en œuvre de double-sens cyclables organisés en tête-bêche sur le linéaire de la vélorue.
Privilégier les tracés à l’écart des lignes de transport en commun
La cohabitation des cyclistes avec les transports en commun est généralement peu compatible avec le niveau de sécurité et de confort qu’on cherche à fournir aux usagers de la vélorue. Elle peut en effet constituer un frein à l’utilisation de l’aménagement pour les usagers les moins à l’aise.
Si chez nos voisins européens, certaines réalisations ponctuelles de vélorues tolèrent la présence de lignes de bus, il apparaît primordial que :
- ces vélorues n’intègrent que des lignes de bus aux fréquences de passage particulièrement faibles (quelques bus dans la journée) ;
- le dimensionnement du profil en travers soit adapté pour permettre des situations d’interactions vélos-bus les mieux vécues possibles par les cyclistes (situations de dépassement notamment).
En revanche, là où il n’y pas la possibilité de créer des pistes cyclables, les vélorues peuvent être bien adaptées sur des voies longeant des lignes de transports en commun en site propre, étant donné qu’il s’agit souvent d’axes structurants pour la circulation des cyclistes.
Limiter le stationnement motorisé dans la vélorue
Une offre de stationnement motorisée trop importante dans la vélorue est potentiellement problématique. En effet, en plus de consommer de l’espace utile aux piétons et aux cyclistes, celle-ci implique des manœuvres des véhicules motorisés voire des trafics induits, qui multiplient les possibilités de rencontres et d’interactions vélos-voitures, à plus forte raison lorsque le taux de rotation de ce stationnement est fort.
Ainsi, il est conseillé d’étudier la possibilité de réduire l’offre de stationnement existante, par exemple en déplaçant le stationnement existant le long de rues adjacentes.
De plus, dans le cas d’un maintien d’une offre de stationnement latéral dans la vélorue, on veillera à matérialiser une bande latérale de 50 cm, pour offrir une surlargeur en sus de la largeur réservée au stationnement, et ainsi limiter le risque d’accident des cyclistes lors des ouvertures de portière.
Exemples de configurations dans lesquelles la vélorue est pertinente
Voici 3 configurations souvent adaptées à l’implantation de vélorues :
- Rue ou ensemble de rues dont la position dans le réseau viaire est intéressante pour les trajets structurants à vélo, mais dont la largeur ne permet pas la réalisation d’aménagements séparatifs dimensionnés de manière adéquate ;
- Rue ou ensemble de rues résidentielles par lesquelles passe ponctuellement un itinéraire cyclable structurant
- Contre-allées assurant des enjeux nécessaires de desserte locale.
Concevoir la vélorue
Pour une conception adaptée de la vélorue, il est nécessaire de sélectionner des profils en travers aux dimensions adaptées pour intégrer :
- Des trottoirs adaptés aux besoins des piétons (en prenant notamment en compte la présence de commerces, d’écoles, etc.), limitant leur présence sur la chaussée ;
- Une chaussée nécessairement à double-sens pour les cyclistes, à sens unique ou double-sens pour les véhicules motorisés, d’une conception limitant les difficultés de cohabitation entre vélos et voitures (largeur et profil appropriés).
S’il n’est pas systématique, le passage à un seul sens de circulation pour les véhicules motorisés peut permettre d’élargir les trottoirs pour parvenir à ces objectifs.
Profil en travers de la vélorue à sens unique pour les véhicules motorisés
La vélorue configurée à sens unique pour les véhicules motorisés est particulièrement pertinente pour des profils de chaussée de largeur comprise entre 4,5 et 4,8 m. Cette fourchette permet des croisements confortables entre voitures et vélos, de même que des dépassements des vélos par les véhicules motorisés avec une marge de sécurité suffisante.
Elle peut être envisagée pour des profils de chaussée de largeur comprise entre 3,6 et 4,5 m, mais dans ce cas le trafic motorisé supporté par l’axe doit être réduit à son strict minimum (voir encadré ci-dessus portant sur le dépassement des vélos).
La conception de la chaussée intègre :
- une voie centrale dédiée à la circulation des vélos et des voitures, d’une largeur variant de 3,0 à 4,0 mètres, rappelant le dimensionnement recommandé d’une piste cyclable bidirectionnelle. Son revêtement assure une continuité avec celui des pistes cyclables du secteur, ou a minima une distinction avec celui déployé sur le réseau viaire.
- des bandes latérales bordant la voie centrale, de largeur comprise entre 30 et 40 cm dans le cas général, exceptionnellement portée à 50 cm en présence de stationnement latéral). Ces largeurs intégrent les largeurs de caniveaux existants sur la voirie.
Les bandes latérales se distinguent de la voie centrale par un matériau différent. La présence de ces bandes vise à encourager naturellement les usagers à circuler à l’écart du strict bord droit de la chaussée. Le revêtement employé pour les bandes latérales nécessite de permettre une circulation confortable des cyclistes tout en étant moins attractif que celui de la voie centrale.
Des bandes latérales élargies (avec largeur accrue par la présence du caniveau), à plus forte raison si elles disposent d’un revêtement plus efficace au roulement que la partie centrale, peuvent encourager les cyclistes à circuler sur le strict bord droit de la chaussée, plutôt que sur la voie centrale claire prévue à leur intention.
A éviter :
- Des bandes latérales plus larges que 0,40 m (largeur accrue par la présence du caniveau),
- Un confort de roulement accru sur les bandes plutôt que sur la partie centrale.
Ces caractéristiques encouragent les cyclistes à circuler sur le strict bord droit de la chaussée, plutôt que sur la voie centrale claire prévue à cette intention.
Profil en travers de la vélorue à double sens pour les véhicules motorisés
Ce type de vélorue, courant dans d’autres pays européens n’a pas encore été mis en œuvre en France mais il est tout à fait possible de l’envisager. Les recommandations qui suivent sont issues du retour d’expérience documenté néerlandais.
La vélorue configurée à double sens pour les véhicules motorisés peut s’avérer pertinente pour des profils de chaussée compris entre 4,5 et 7,3 m, suivant notamment les flux motorisés résiduels sur le tronçon.
La conception cette chaussée intègre :
- Deux espaces de circulation unidirectionnels aux dimensions cohérentes avec celles des pistes cyclables unidirectionnelles (2,00 à 2,50 m) ;
- Une bande séparative centrale d’un confort de roulement dégradé, d’une largeur comprise entre 0,50 et 1,50 m : elle délimite les espaces de circulation et de dissuade les automobilistes de pratiquer des dépassements rasants des cyclistes en circulant sur celle-ci. Elle reste franchissable par les cyclistes et les automobilistes, pour dépasser un groupe de cyclistes par exemple.
- D’éventuelles bandes latérales aux caractéristiques de roulement semblables à celles mises en œuvre pour les bandes latérales des vélorues à sens unique pour les véhicules motorisés. La largeur de ces bandes peut varier entre 0 et 0,40 m, et peut exceptionnellement être portée à 0,50 m en présence de stationnement latéral.
Vélorue de 6,00 m, bidirectionnelle pour les véhicules motorisés
Réaliser la vélorue
Donner la priorité à la vélorue sur les rues sécantes
La vélorue constitue un maillon d’un réseau cyclable principal ou à haut niveau de service, réseaux qui se caractérisent par leur efficacité pour les cyclistes.
Pour favoriser cette efficacité, dans le cas le plus fréquent d’intersections non gérées par feux de signalisation, il est très souhaitable de rendre la vélorue prioritaire sur toutes les rues sécantes.
Cette priorité donnée à la vélorue se traduit suivant les cas :
- soit par la création de trottoirs traversants dans le prolongement des trottoirs présents sur la vélorue elle-même ;
- soit par l’implantation de la signalisation adaptée sur les rues sécantes, cédez-le-passage ou stop, suivant les conditions de visibilité.
Normaliser la position des cyclistes à l’écart du bord droit de la chaussée
Du point de vue des usages, l’identité visuelle retenue pour la vélorue (enrobé de couleur uniquement sur la partie circulée par les cyclistes par exemple) facilite la différenciation des zones de circulations. Ainsi, elle contribue à un positionnement adapté des cyclistes à l’écart du strict bord droit (bande latérale droite lorsqu’elle existe) de la vélorue.
Néanmoins, d’un point de vue réglementaire, les cyclistes sont autorisés à s’écarter du bord droit de la chaussée, sur des voies limitées à 50 km/h ou moins, uniquement pour s’écarter de véhicules en stationnement, ou lorsqu’une trajectoire matérialisée leur est destinée (article R412-9 du Code de la route).
La mise en place des trajectoires matérialisées permet ainsi aux cyclistes de s’écarter légalement du bord droit de la chaussée et d’adopter un positionnement confortable sur la chaussée, conforme à l’usage souhaité de la vélorue. Ces trajectoires matérialisées sont implantées :
- Au niveau des carrefours franchis par la vélorue (entrées et sorties comprises),
- En section courante : à un intervalle de distance qui peut varier suivant les sites (par exemple 50 mètres)
Soigner la qualité de roulement de la vélorue
Une attention particulière sera portée à la qualité de roulement du revêtement de la partie de chaussée circulée par les cyclistes sur la vélorue, afin de satisfaire les exigences d’efficacité du réseau cyclable structurant dans lequel celle-ci s’inscrit. Le même revêtement que celui utilisé pour les pistes cyclables du réseau pourra notamment être employé, ce qui renforcera la lisibilité globale du réseau.
Il conviendra en particulier de s’assurer que c’est bien la voie circulée et non les bandes latérales implantées de part et d’autre de la chaussée (voir paragraphe précédent) qui s’avère la plus attractive.
Communiquer autour de la vélorue
L’ambition des recommandations formulées dans cet article est que leur prise en compte conduise à des aménagements fonctionnels et intuitifs pour les usagers, guidant naturellement les usagers tous modes vers le comportement attendu de leur part sur la vélorue.
De plus, telle qu’elle est ici décrite la vélorue n’introduit pas de nouveauté réglementaire méconnue des usagers, qui conduirait à des comportements inappropriés.
Pour autant, comme pour toute nouveauté, une communication adaptée est profitable pour renseigner les usagers sur l’existence de la vélorue, mais également les guider dans l’appropriation de ce nouvel aménagement.
Cette communication peut notamment se traduire par la mise en place de dispositifs d’information qui explicitent le concept de vélorue.
Pour en savoir plus
- Rivo Vasta. La vélorue. Blog Urbanisme cyclable – De la ville hostile à la ville cyclable, 3 septembre 2023.
- Rendre sa voirie cyclable : les clés de la réussite – Un guide pratique du Cerema, 20 mai 2021
- Hans Kremers. Les vélorues, un dispositif très utile – mais négligé en France. Blog Isabelle et le vélo, 14 septembre 2020.
- Sébastien Marrec. Les vélorues vont-elles conquérir les villes françaises ? Actu vélo, 5 août 2020.
- Sébastien Marrec. Les vélorues vont conquérir les villes françaises — épisode 1 : leurs origines, en Allemagne et aux Pays-Bas. Actu vélo, 5 mars 2020.
- Sébastien Marrec. Les vélorues vont conquérir les villes françaises, épisode 2 : quelles sont les fonctions et bénéfices d’une vélorue ? Actu vélo, 10 mars 2020.
- Sébastien Marrec. Les vélorues vont conquérir les villes françaises, épisode 3 : principes de conception et design d’une vélorue. Actu vélo, 13 mars 2020.
- Sébastien Marrec. Les vélorues vont conquérir les villes françaises, épisode 4 : vélorues cosmétiques VS vélorues fonctionnelles, des enseignements à tirer. Actu vélo, 18 mars 2020.
- Thierry Roch. Les vélorues débarquent à Lille dès 2020. Actu vélo, 1er janvier 2020.
- César Compadre. Bordeaux : une rue où la voiture doit rester derrière le vélo. Sud Ouest, 22 octobre 2018.
- Mairie de Bordeaux. Dandicolle, 2e vélo-rue de France.
- Martin Antoine. Strasbourg lance la vélorue, une première en France. Le Parisien, 17 mai 2017.
- Roxane Grolleau et Jean-François Gérard. Une première « vélorue » pour faire oublier les dernières mesures anti-vélo. Rue 89 Strasbourg, 13 mai 2017.
- Hans Kremers. Les premières vélorues du monde. Blog Isabelle et le vélo, 23 janvier 2016.
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